Patrimoine disparu
Le parc du château de la princesse Mathilde
Tous les historiens se rejoignent pour qualifier le parc de la princesse Mathilde comme aussi admirable qu’étendu. Ses allées étaient ouvertes et aménagées avec grand art. Au nombre des arbres séculaires se trouvaient le cèdre du Liban, placé entre les deux châteaux (le château neuf, résidence de la princesse et le château ayant appartenu à Catinat, réservé à certain de ses invités), et les deux séquoias géants, encore visibles aujourd’hui dans le haut de la rue Simon Hayem. Un pavillon de chasse détruit en juillet 2004 était également à la disposition de certains invités.
Une belle allée (aujourd’hui avenue Paul Doumer) partait du château neuf pour rejoindre les berges du petit lac qui communiquait avec le lac d’Enghien au niveau du pont de la Muse. Certains des invités de la princesse arrivaient par cette voie, en bateau, après être descendus du train à Enghien. Parfois accompagnée de ses chiens, Tom et Tine (ces noms ont été retrouvés dans un extrait du journal des Goncourt), la princesse allait alors les accueillir en personne sur l’embarcadère.
Un théâtre de verdure était à la disposition d’artistes et de nombreux spectacles y étaient donnés.
En 1861, la princesse donna en l’honneur de son cousin, l’empereur Napoléon III, une très belle fête vénitienne, dont le souvenir resta longtemps gravé dans les mémoires. Emile de Girardin raconte que « tous les bords du lac étaient illuminés, toutes les barques pavoisées. Des flots de lumière électrique inondaient le château Catinat et le parc ». A bord des bateaux les plus grands, paradaient les musiciens des régiments en garnison à Saint-Denis. C’est en souvenir de cette fête qu’une allée près du lac pris le nom d’allée des gondoles.
Difficilement localisable aujourd’hui, un cimetière accueillait les dépouilles des chiens de la princesse. Des morceaux de pierres tombales ont été retrouvés à l’abandon disséminés dans quelques propriétés du parc.
En 1904, à la mort de la Princesse Mathilde, vingt-trois hectares du parc sont vendus en terrains à bâtir (au prix de 6 à 10 francs le mètre carré). Les allées circulaires et transversales laissent place aux avenues Terré, Lacour, Paul Doumer, Simon Hayem, Ernest Renan…et au boulevard de la République. En 1964, l’ancien embarcadère est aménagé en jardin public et en terrain de jeux d’enfants.
Sur le site de l’association Valmorency, on retrouve le témoignage d’une contemporaine de la princesse Mathilde, Marc de Montifaud, qui décrit ce vaste domaine dans la Revue du XIXe siècle (1866 , p. 393.):
La façade du dernier manoir, façade à briques rouges, aux fenêtres arrondies, flanquée de ses deux pignons, se retrouve un peu plus loin. Un lierre épais grimpe le long de la muraille estampée par les vieux et lourds rameaux. Le style Louis XIII a dessiné toutes ces lignes pittoresques : c’était le moment où la brique devenait la pierre par excellence pour la construction des édifices, depuis que Catherine de Vivonne l’avait introduite dans celle de l’hôtel de Rambouillet. La porte recouverte en tuiles a disparu, les fossés ont été comblés. La plus grande partie de cet immense domaine était en friche, et atteignait l’étang alors couvert de roseaux et rempli de jondelles. Aujourd’hui, l’élégant tracé des allées en a fait un parc de la plus belle ordonnance. D’épais bocages et de longues charmilles permettent au promeneur d’égarer son pas sous les ramées. Les brises et les zéphyrs affectent des ondulations graves dans ces arbres centenaires : on dirait des vieillards qui ont des larmes dans la voix, même au matin de leurs derniers jours De vastes pelouses, où l’œil contemple un gazon toujours vert, s’étendent devant les façades du château neuf. Dans chacun de ces sinueux méandres surgit un kiosque habilement ménagé en un frais massif. Des corbeilles, aux nuances harmonieusement fondues, œillets, tulipes, anémones, absorbent la poussière d’or et les rayons par les pores de leurs tissus soyeux. Plusieurs groupes de marbre, entre autres une Andromède, signée Francheschi, d’une facture largement comprise, d’une conception neuve, d’un cachet palpitant d’intérêt; les contractions des muscles qui se tordent sous les chairs, au sein de ce paysage éclatant, sont d’un invincible effet. Tout autre qu’un amateur d’élite eût donné la préférence à l’une de ces riantes personnalités du poème des jardins, faune railleur, satyre endormi, chasseresse aux courbures sveltes. Mme la princesse Mathilde a préféré inaugurer l’entrée de son habitation par ce grave incident d’un récit chanté par le pasteur des vallons de la Béotie. Un sable fin est semé dans ces allées dont le dessin suit une pente douce, entre leurs doubles bordures de géraniums, et qui descendent jusqu’au lac. Un pavillon au toit de chaume, aux murs à moitié dérobés sous le feuillage, s’élève sur les bords où sont amarrées quelques nacelles. Ce lieu est sans nul doute le site le mieux choisi, le plus romantique, le plus délicieusement jeté. À gauche, un petit hangar au couvert plat où se resserrent les embarcations. Ce morceau de rive est encaissé entre les saules, les peupliers et les bouleaux. Un ciel toujours clément promet aux gondoliers pleine possession de l’onde. Plus loin, sur les terrains surélevés en plates-formes qui avoisinent le château, quelques échappées de vue dont les plans sont superposés dans un bleu violeté, en sorte que les objets semblent broyés dans l’azur.
Au milieu de toutes ces terrasses s’élève la maison de Son Altesse Impériale. Divers sentiers montueux y aboutissent. Un perron de style moderne est abrité par une marquise vitrée, soutenue par des colonnes enguirlandées de lierre comme les anciens pampres des piliers corinthiens; les deux côtés sont garnis de fleurs. Un vestibule, dallé de marbre, conduit dans un salon d’une richesse pleine de bon goût, aux murailles tendues de perse, aux meubles d’une élégante simplicité également recouverts de la même étoffe. Quelques tableaux de maîtres y sont suspendus. Plusieurs guéridons supportent des vases précieux où sont déposées des fleurs aux nuances caressantes sur lesquelles Mme la princesse Mathilde doit promener de temps à autre son coup d’œil d’artiste.
Le salon ouvre sur une véranda couverte de tapis de Smyrne où sont rangés des divans et où s’épanouissent quelques plantes rares en des vases de Saxe. En face, une immense prairie dont les émanations viennent vivifier ceux qui goûtent le repos de ces beaux lieux dans les onctueuses soirées d’août.