Aimons Saint-Gratien en val d'oise

Patrimoine Visible

Le château de la princesse Mathilde aujourd'hui
La chambre de la princesse Mathilde à Saint-Gratien - Paris, Musée Ernest Hébert
La chambre de la princesse Mathilde à Saint-Gratien - Paris, Musée Ernest Hébert
Le lustre du hall d'entrée

Le château neuf

On raconte que pour servir de point de vue au château de la duchesse de Saint-Leu-la-Forêt, la reine Hortense de Beauharnais (1783-1837), fille de Joséphine, on fit bâtir à Saint-Gratien une demeure qui, visible depuis là-bas, agrémentait joliment la vue.
Le château est construit en 1806, par Jean Baptiste Legendre, Comte de Luçay et préfet impérial. Il cherchait alors une « campagne » proche de Paris. Le décès de l’amiral Etienne Eustache Bruix, ancien ministre de la Marine, le 18 mars 1805, laissant libres le magnifique parc et le château du maréchal de Catinat. Le comte de Lucay acquiert la propriété et s’y installe avec sa famille. Se trouvant trop à l’étroit dans la demeure de Catinat, il fait édifier par l’architecte Fortin un nouveau bâtiment, que l’on baptise le château Neuf (aujourd’hui, 16, avenue Gabriel-Péri).
Repris du site de l’association Valmorency, voilà comment le chroniqueur Charles Lefeuve raconte l’histoire dans son livre, Le Tour de la Vallée (1866) :

Le comte de Luçay était propriétaire de presque toute l’ancienne terre seigneuriale de Saint-Gratien, lorsque la chrysalide du Consulat à vie sortait de sa coque trop étroite avec les ailes de l’Empire. En qualité de préfet du palais, M. de Luçay était tenu parfois au courant des plus petits désirs de l’impératrice Joséphine et de sa fille, qui était la reine de la Vallée avant d’être la reine de Hollande. Il y avait, en ce temps-là, dans un salon du palais de Saint-Leu, des glaces tellement bien disposées qu’elles réfléchissaient toute la campagne à trois lieues à la ronde. La reine Hortense en profitait pour passer constamment en revue tous ses voisins. Sa Majesté tournait souvent les yeux du côté qu’avait habité le héros de Staffarde et de la Marsaille. Elle y voyait l’eau bleue du lac, glace que répétait merveilleusement une autre glace. Mais il n’y avait pas encore de blanches maisons tranchant sur la masse verte des arbres du parc et du bois Jacques. Le château de Catinat disparaissait au fond de Saint-Gratien, sans qu’on le vit des hauteurs de Saint-Leu, dans le cristal de ce polyorama. Il manquait quelque chose, selon la reine Hortense, sur ce point-là du paysage, et surtout dans la partie haute de l’admirable parc de Saint-Gratien. Que pouvait être ce quelque chose ? M. de Luçay y fit mettre un palais. Une pensée de la reine Hortense avait pour ainsi dire posé la première pierre de l’édifice ; une auguste visite, celle de l’empereur, couronna l’œuvre. (…) Après une longue promenade dans les allées séculaires du grand parc, et autour de ce lac appartenant encore, comme la source Cotte, la source de la Pêcherie et presque tout le territoire de l’établissement thermal, à M. le comte de Luçay, une fête eut lieu dans les appartements. Il n’en fallait pas davantage pour que les sénateurs, les généraux, etc., vinssent demander tour à tour quelques heures d’hospitalité au nouveau seigneur. Celui qui y revenait le plus souvent, comme ami de la maison, était le maréchal Exelmans.

Deux ans après son installation dans la commune, M. de Luçay devient, en 1808, maire de Saint- Gratien. Il le restera jusqu’en 1815. En 1817, tout en restant au château Catinat, il vend le Château neuf. Il meurt à Paris le Ier novembre 1836 et est enterré au cimetière de Montmartre. En 1847, un certain M. Benoît Bisson se rend acquéreur des châteaux et du parc environnant. Il scinde la propriété, élève un mur entre les deux constructions et fait percer un route qui passe devant le château Neuf.
En 1851 la princesse Mathilde, nièce de Napoléon 1er et cousine de Napoléon III, cherche une résidence d’été dans la région. Elle loue dans un premier temps le château Catinat et, se plaisant dans cet environnement champêtre, achète deux ans plus tard le Château Neuf. Elle fait ajouter une mansarde à l’édifice en guise de troisième étage.
Pendant la guerre de 1870, alors que la princesse est en exil en Belgique suite à la proclamation de la République, le château est occupé par l’état-major prussien du Wurtemberg. Il n’est ni pillé, ni endommagé. Sa propriétaire n’étant autre que la fille de Catherine de Wurtemberg.
A son retour, en juin 1871, la princesse retrouve son château et y invite artistes et écrivains. Edmond de Goncourt et son frère y sont fréquemment reçus. En 1874, ils en font une longue description dans leurs Mémoires de la vie littéraire:

Samedi 14 novembre_1874–Fin de journée assez grise. La princesse un peu enrhumée, et qui éternue à se faire sauter le crâne, est chez elle, comme retirée dans la fourrure de son veston bleu. Benedetti souffrant d’un rhumatisme garde la chambre. Mme Guyon et Mme Gautier ont la migraine. Mlle Abbatucci qui a voulu faire des papiers granités, à souffler de l’encre verte dans un pulvérisateur, prise de mal de cœur, a été se coucher.
Dans l’atelier, je suis seul, désœuvré, et un blanc soleil d’hiver éclaire si joliment toutes les choses qui sont là, qu’il me prend la tentation de les décrire. Je veux laisser un souvenir de cette pièce, qui fut vraiment pendant l’Empire, l’aimable domicile du gouvernement de l’art et de la littérature, le gracieux ministère des grâces. Je veux laisser un souvenir ressemblant à la fois à une peinture et à un inventaire de commissaire-priseur, quelque chose qui, dans les temps futurs, permette à ceux qui aimeront la mémoire de la princesse, de la retrouver, de la voir, comme s’ils poussaient la porte de cet atelier, gardé dans la cendre d’une Pompéi.
L’atelier est une grande annexe contre le salon de droite, dont les fenêtres latérales qui n’ont pas été bouchées, forment des niches. Les deux façades dont l’une regarde Catinat, dont l’autre regarde le parc et Montmorency, sont pour ainsi dire deux grandes baies vitrées, par lesquelles le soleil et la lumière entrent à flot. La façade parallèle au salon est percée seulement d’une porte-fenêtre, d’où l’on descend dans l’allée menant au lac d’Enghien.
On entre du salon dans l’atelier, comme par une espèce de petit corridor, fait et resserré entre de grands meubles de marqueterie couronnés d’oiseaux empaillés, de bassins de cuivre orientaux, de cabinets de laque rouge, de petites tables de nacre et d’écaille, de tout un monde de choses, où brillent les reflets des métaux, où éclatent les couleurs des plumages exotiques. Tout à l’entrée, une fontaine émaillée verte et bleue, pour le lavage des doigts salis par le maniement du crayon.
Le passage s’élargit entre des paravents, sur lesquels sont drapées des étoffes de la Chine, des étoffes du Maroc lamées d’or, et contre lesquels sont entrouverts des cartons, laissant voir des bouts de dessins et des papiers de toute couleur.
Si l’on tourne à droite, on trouve dans la baie de l’ancienne fenêtre du salon, un petit canapé vert rayé de blanc, surmonté des médailles, des diplômes que la princesse a reçus aux expositions. Au milieu, figure posée sur le rebord de la fenêtre, une grande photographie représentant le prince impérial. Puis, au mur, dans l’encoignure, un cadre contenant d’immenses papillons du Brésil qui semblent des morceaux d’azur, et une reproduction photographique du tableau du fils Giraud: «le Charmeur.»
Et nous voici devant la grande baie qui regarde Catinat, et devant un amoncellement de meubles et de porcelaines encombrant le vide, avec la profusion qu’aime la princesse. C’est d’un côté une table en marqueterie, surmontée d’une corbeille en porcelaine, de l’autre une table portant un vase jaune impérial, fabriqué par Decker, duquel s’élance un palmier. Entre les deux tables est placé un grand divan, couvert de la perse qui garnit tout le rez-de-chaussée, et met aux plafonds et aux murs son vert d’eau, fleuri de fleurs roses et bleues. Un grand tapis de Perse, tout gai, tout riant, et où dans la pourpre de petits morceaux de blanc ressemblent à des morceaux de papier semés sur la laine, couvre le parquet et tout ce côté de l’atelier.
En avant du divan, une chaise en sparterie, brodée de soie jaune et bleue, et devant le métier à tapisserie de la princesse, où la bande commencée est cachée sous un mouchoir de soie brodé de fleurettes violettes. A côté monte, sur son haut pied, un grand panier en vannerie, orné de nœuds de rubans, contenant les soies de la princesse, dans un _fazzoletto_ rouge, rayé d’or.
Ce coin est le coin du travail de la femme chez la princesse, et le coin de son repos. Là, est le métier à tapisserie, où elle se jette au sortir du dessin et de l’aquarelle. Là, est le grand divan de perse, où, à la tombée de la nuit, à cette heure qui l’attriste, elle fait sa petite sieste mélancolique. Là, est la corbeille des chiens, dormant leur sommeil recroquevillé! Là, est le petit divan vert rayé de blanc, où se tiennent les colloques intimes de la politique, les entretiens d’affaires, les duos de la sollicitation et de la protection, petit canapé qu’elle affectionne, et d’où ses pieds frileux vont chercher, tout à côté, le souffle tiède d’une bouche de calorifère, qui ventile le poil remuant des petits chiens dans leur corbeille.
Dans le grand panneau qui fait face au salon, il y a d’abord dressé contre le mur un immense meuble de marqueterie hollandaise, aux tiroirs _en tombeaux_, portant sur sa corniche des vases argentés, dans lesquels sont ouverts des parasols japonais.
Puis, c’est un bureau Louis XV, sur lequel la princesse écrit un billet pressé, inscrit un renseignement, une adresse, le nom d’une plante en latin. Sur ce bureau se voient un buvard en maroquin blanc, dont se détache le relief d’un _M_ en bronze doré; un encrier formé par une boule en cuivre, porté par un aigle argenté; un coupe-papier en bois de santal, aux incrustations de nacre; de grands ciseaux dans une gaine de maroquin blanc; un petit agenda disant la date du mois; un petit chronomètre disant l’heure du jour. La galerie du bureau porte, entre deux bouquets de violettes artificielles, un minuscule bronze du grand Empereur en César romain.
Devant la porte qui mène au lac d’Enghien, un vrai capharnaüm. Au milieu se dresse dans un vase, imitant le jaspe sanguin, une fougère arborescente, dont la mousse du pied est becquetée par des oiseaux. D’une flûte de verre bleu monte dans la verdure grêle de la fougère, un bouquet de chrysanthèmes, aux tons foncés de fleurs de velours.
Tournant autour des deux vases, se déroule devant, un petit paravent de poche, où Popelin, sur une toile écrue, a peint des oiseaux et des fleurs, un porte-photographies en maroquin rouge, contenant les portraits de Popelin, de l’abbé Coquereau, de Benedetti, de Mme Benedetti, de Victor Giraud, du vieux Giraud, du docteur Puysaye. Sur un coin de la table, un petit pupitre en laque montre, exposée, la photographie du tableau de la «Fête-Dieu» de Rousseau, au bas duquel Augier a crayonné des vers.
Et il y a encore sur cette table un petit miroir de poche en ivoire, une gaine à ciseaux de plusieurs grandeurs, un petit panier à franges d’or, un petit sac en maroquin blanc, une pelote à épingles, des paires de gants salis par le fusain, une carafe à demi remplie de limonade, un voile noir plié,–le voile de la promenade–et j’oubliais un petit pot, où trempent dans l’eau des feuilles de sauge, dont la princesse use pour une inflammation de gencives.
Après la porte recommence le panneau, et c’est un bahut hollandais faisant pendant à l’autre, dans son assez vilaine tonalité jaune. Sur sa corniche, entre deux paons la queue déployée, se renverse un amour tenant un miroir, derrière lequel sont deux harpes dorées, aux fines sculptures Louis XVI. Puis, c’est un enchevêtrement de petites tables, de tabourets, d’une toilette dont des rouleaux de papier de toutes couleurs cachent la glace; d’un chevalet Bonhomme, sur lequel pose une aquarelle, représentant un coucher de soleil dans le parc, qu’on a admiré, il y a deux ou trois jours; d’un fauteuil-balançoire viennois; d’une petite étagère portant à tous les étages, des Bottin, des Dictionnaires, des Almanachs de Gotha.
Seulement deux grands tableaux dans l’atelier. Ces deux grands tableaux, placés aux deux côtés de la porte de sortie, représentent tous deux des paons: l’un est de Philippe Rousseau, l’autre de Monginot.
Maintenant c’est le panneau vitré de la façade du parc. Contre le vitrage monte un rideau vert, qui au milieu de la lumière ensoleillée de tout l’atelier, met une grande ombre sur tout ce côté, sur les liseurs de livres et de revues, assis sur le grand divan du milieu. C’est ordinairement sur ce divan, que prend place le lecteur, quand une lecture est faite à haute voix. Ce côté de l’atelier est le côté de la peinture, du dessin. Dans l’encoignure, dans l’angle de la façade du parc et du mur mitoyen du salon, sur une table est posé le petit pupitre, sur lequel la princesse crayonne ses portraits aux trois crayons. A côté du pupitre, à portée de la main, les crayons, la sanguine, la craie, la gomme élastique employés par la princesse, tous objets qu’elle n’aime pas qu’on touche, disant que les autres sont des _sales_.
Au-dessus de sa tête, est un cartel Louis XVI, à la sonnerie grave. Derrière elle un second petit divan vert, rayé de blanc, remplit la niche de la fenêtre du salon, qui est comme une petite chapelle des dessins d’Hébert.
Sur le rebord, il y a, enveloppé dans un mouchoir de soie à pois blancs, une copie à l’aquarelle d’un Tiepolo de sa galerie, et sur le Tiepolo, plié et noué par la princesse, avec l’art d’une demoiselle de magasin de chez Boissier, est un petit tablier de soie noire, qu’elle met les jours où elle fait du lavis.
Tout le mur en retour jusqu’au plafond et jusqu’à la porte d’entrée de l’atelier, est garni d’étagères algériennes, d’œufs d’autruches aux pendeloques de perles, de lanternes vénitiennes, de gargoulettes orientales, d’instruments de musique sauvages, encastrés dans les immenses rinceaux que dessinent les palmes de la Semaine Sainte, envoyées par le pape à l’Altesse Impériale, et d’où s’élance de son bâton d’empaillement, un lophophore, cet oiseau de velours noir au collier d’émaux translucides.
Et dans le fouillis des choses, la presse des objets, la confusion des formes et des couleurs, l’on entrevoit encore des photographies de l’Empereur Napoléon III, dans toutes les phases de sa bonne ou de sa mauvaise fortune; on entrevoit les éclairs de rubis et d’émeraude de toute une collection d’oiseaux mouches dans l’ombre d’une armoire; on entrevoit des aquarelles drolatiques de Giraud représentant des scènes de l’intérieur de la princesse; on entrevoit d’élégiaques têtes d’études d’Amaury Duval; on entrevoit de vieilles gravures représentant Napoléon Ier en costume troubadouresque; on entrevoit des mécaniques en bronze doré pour tenir horizontalement une branche, on entrevoit par l’entrebâillement des panneaux, des tiroirs, des albums, des blocs de papiers à aquarelle, des cornets de cristal hérissés de pinceaux, des tubes, des vessies, une armée de bouteilles d’encres de couleur avec leurs floquets de ruban rouge: tous les ustensiles et tous les outils de la peinture à l’huile, de l’aquarelle, du pastel, du crayonnage,–à l’état de provisions.

Le rayonnement du Château Neuf cesse au décès de la princesse Mathilde en janvier 1904. Ne laissant aucun héritier, le parc et son château reviennent au prince Louis Joseph Jérôme Napoléon. Celui-ci cède le tout à la société Immobilière de la Banlieue de Paris le 30 juillet 1904. Alors que le parc est loti pour être vendu, le château passe de main en main et se dégrade au fil des ans. En décembre 1967, il est déclaré insalubre. En 1970, la municipalité engage des pourparlers avec les 4 copropriétaires pour acquérir la demeure. Dans un premier temps, on envisage de la détruire. Celle-ci est finalement réhabilitée en 1985 et transformée en appartements privés. Un escalier monumental reste le seul vestige de l’aménagement intérieur de l’époque.Blabla

La maison de la princesse Mathilde à Saint-Gratien - Paris, Musée Ernest Hébert
Avenue Gabriel Péri - Le château de la princesse Mathilde
Saint-Gratien, le billard de la princesse Mathilde - Paris, Musée Ernest Hébert
Le château de la princesse Mathilde vers 1965
L'escalier monumental du hall d'entrée