Catinat
Dans le Perche, au XIVe siècle, la famille de Catinat, noblesse de robe, assume les principales charges de la magistrature. Pierre II de Catinat est, comme son père, conseiller au Parlement de Paris. Le 8 janvier 1621, il épouse Catherine-Françoise Poisle, fille de Jacques Poisle, seigneur de Saint-Gratien. Ils auront seize enfants.
Nicolas de Catinat, le onzième d’entre eux, naît à Paris le 1er septembre 1637. Il porte d’abord le titre de seigneur de la Fauconnerie, du nom d’une terre que sa famille possède vers Mortagne-au-Perche (Orne). Il commence une carrière d’avocat mais est découragé par la perte d’une cause qu’il croyait juste. Il quitte le barreau en 1660 et entre dans l’armée avec le grade de cornette (sous-lieutenant) au régiment de Monsieur de Fourille.
En 1667, lors de la guerre de Dévolution, il participe aux sièges de Tournai, Douai et Lille. Louis XIV remarque sa bravoure et lui fait donner une lieutenance dans la compagnie de Cauvisson, au régiment des Gardes Françaises. A Lille, son frère aîné est mortellement blessé sur le champ de bataille ; Nicolas devient seigneur de Saint-Gratien. La paix signée à Aix-la-Chapelle, il revient à Paris. Peu enclin aux mondanités, il partage son temps entre son château de Saint-Gratien et l’Hôtel de Vitry, rue des Minimes à Paris. Sous les ordres de Turenne, Catinat, capitaine aux hardes, se distingue en 1672 durant la guerre de Hollande. Il est blessé en 1673 au siège de Maestricht. A peine remis sur pieds, il prend part à la campagne de Franche-Comté.
Catinat s’illustre aux prises de Besançon et de Dôle. Il est de nouveau blessé à Séneffe. Six mois plus tard, en janvier 1675, il est aux côtés de Turenne lorsqu’il remporte la victoire de Turckheim. Au rythme des combats, son ascension continue. Il revient en France alors que Louis XIV est sur le point de révoquer l’Édit de Nantes (1685). Le roi se décide à combattre la Ligue d’Augsbourg et déclenche une nouvelle guerre qui durera de 1688 à 1697. Nicolas de Catinat s’y illustre tout au long de ces années. Ne donnant, semble t’il, ses ordres qu’après les avoir murement réfléchis, on le surnome le Père la pensée. Les mémorialistes de l’époque insistent sur sa droiture. N’acceptant pas le pillage on dit même qu’il savait se faire apprécier des populations occupées alors que des commentaires acerbes circulaient dans son entourage.
Après ses succès à Staffarde, la prise de Montmélian fait de Louis XIV le maître de la Savoie. Catinat reçoit le bâton de Maréchal de France sur la frontière d’Italie. Il se fait aussi de nouveaux ennemis parmi les nobles de haute lignée qui le jalousent. En 1693, il est nommé commandant de l’armée d’Italie. Il rencontre l’ennemi à Marsaglia (La Marsaille) au Piémont. L’armée française est victorieuse mais exsangue et épuisée. Quittant l’Italie, Catinat est mis à la tête d’une des armées du roi en Flandres et fait une fois de plus bien des envieux. Il évite bon nombre de pillages et de massacres. Sa réputation de bonté et de justice s’étend partout en Europe. En 1697, alors que la paix de Ryswick met fin au conflit, voilà qu’apparaissent les prémices de la guerre de succession d’Espagne. En 1701, Catinat reprend le commandement de l’armée d’Italie mais ne peut agir comme il le souhaite. Ses lettres au roi sont interceptées par Madame de Maintenon.
Catinat ordonne la retraite de Carpi. Quelques généraux et courtisans forment une cabale contre lui. En septembre, il doit, à son corps défendant, retourner au combat à Chiari. C’est une nouvelle défaite: le Milanais est perdu pour la France. Catinat quitte l’armée d’Italie et veut aller expliquer son attitude au roi. Louis XIV refuse de le recevoir en audience particulière. En disgrâce, il rentre à Saint-Gratien. En 1702, Madame de Maintenon reconnaît ses erreurs et les relations entre Catinat et le roi s’éclaircissent. Le Maréchal est nommé à la tête de l’armée d’Alsace et envoyé dans la province pour dégager Landau assiégée par les Impériaux. Avec trop peu de troupes, il échoue et refuse de forcer le passage du Rhin. Relégué gouverneur de Strasbourg, il demande et obtient sa mise en congés. A 65 ans, il se retire définitivement à Saint-Gratien auprès de sa soeur et son frère.
Catinat y rédige ses mémoires, écrit à ses amis, et poursuit une importante correspondance avec Vauban. Il reçoit de nombreux invités de marque : Bossuet, Mme de Sévigné, Voltaire, Fénelon, Mme de Coulanges, le duc de la Rochefoucauld, le maréchal de Choiseul.
Dans son éloge du Maréchal Catinat, Antoine-Léonard Thomas le décrit parlant familièrement aux paysans, entrant dans les détails de leurs intérêts, apaisant leurs différents et encourageant leurs jeux. De son côté, Marc René Sahuguet d’Espagnac le montre entrant dans les chaumières, ouvrant les huches de pain et, si elles étaient vides, demande à son serviteur, Vincent, de les remplir.
Nicolas administre soigneusement ses terres et veille au bien-être des paysans qui les cultivent. Dans la cour de son château, sous un marronnier, il leur sert de conseiller et d’arbitre. Il offre des prix aux jeunes gens lors des fêtes du village. Ses goûts restent bucoliques. Il soigne lui-même ses arbres fruitiers et fait de longues promenades à pied dans les environs.
Loin de la cour, il refuse diverses distinctions. Lorsque Louis XIV sollicite son avis ; il indique toujours qu’il ne le donne qu’en tant que simple citoyen. La tradition veut qu’en 1710, un petit cèdre du Liban, rapporté par Jussieu, ait été offert à Catinat de la part de Louis XIV.
Sur le site de l’association Valmorency on retrouve des extraits d’un livre du Marquis de Créquy (1737-1801) : Vie de Nicolas de Catinat (1774). On y apprend qu’à la fin de sa vie, le maréchal passait à Saint-Gratien la plus grande partie de son temps à réfléchir. Cet état lui était si agréable, qu’il se promenait toujours seul et que chacun évitait avec soin de le rencontrer et de le troubler dans ses réflexions. « Nous ne passions pas un jour sans le voir, écrivait madame de Coulanges, je le trouve seul au bout d’une de nos allées ; il y est sans épée. Il semble qu’il ne croit pas en avoir jamais porté ». Cette simplicité produisit encore une méprise singulière, dont le souvenir s’est conservé, même jusqu’aujourd’hui, parmi les paysans de Saint-Gratien. Un jeune bourgeois de Paris, passant auprès de Saint-Gratien, aperçut le maréchal et lui cria, sans ôter son chapeau : « Bonhomme, je ne fais à qui appartient cette terre et je n’ai point permission d’y chasser : cependant, je vais me la donner ». Le maréchal l’écouta chapeau bas, et continua sa promenade. Le jeune homme voyant rire des paysans, qui travaillaient dans la campagne, leur en demanda le sujet. Ces bonnes gens lui répondirent : « Nous rions de votre insolence, de parler ainsi à monseigneur. S’il avait dit un mot, nous vous aurions battu ». Le bourgeois confus courut après le maréchal, lui demanda pardon, et l’assura qu’il ne le connaissait pas : « Il n’est pas nécessaire, lui répondit-il, de connaître quelqu’un pour lui ôter son chapeau. Mais biffons cela et venez souper avec moi », ce que le jeune homme n’osa point accepter. »
Le maréchal s’éteint le 22 février 1712, entouré de sa famille et de son confesseur. Il est inhumé le 26 février dans l’ancienne église du village, dans la chapelle du côté gauche, dite de Saint Jacques. Plus tard, sa petite nièce Marie Renée Catinat, décédée le 19 novembre 1779 à l’age de 78 ans, sera couchée à coté de lui.
Lors de la révolution, en 1793, les cercueils sont ouverts et retournés. Le plomb qui les entoure est emporté pour faire des balles et les ossements rejetés dans la fosse ouverte. La tradition populaire ajoute qu’un admirateur, par respect pour le grand homme, plaçe le squelette dans une encoignure de la fosse, et lui fait prendre une attitude particulière en disposant ses bras en croix. On raconte aussi qu’un gamin de 13 ans, Jean François Denise, surnommé plus tard le père Tambour, assiste à la scène. Comme il s’avançe trop près, l’un des conventionnels, par malice, l’aurait alors fait tomber dans la fosse. En 1860, quand la vieille église est démolie, M. Terré, alors maire de la commune, connaissant l’histoire, fait pratiquer des fouilles. Aidé de trois témoins oculaires (dont le père Tambour), des ossements sont retrouvés. Le Docteur Martin, exerçant dans la commune, affirme qu’ils sont ceux de squelettes de sexe différents confirmant ainsi les dires des témoins de l’époque. Ces ossements sont ensuite placés, le 25 juin 1860, dans deux boites en plomb et déposés, dans la nouvelle église, à l’intérieur d’un sarcophage supportant la statue de Catinat que vient d’achever le Comte de Nieuwerkerke.